
Dragon Ball, One Piece, Naruto, My Hero Academia, The Promised Neverland, Slam Dunk, JoJo’s Bizarre Adventure. Un seul point point commun entre ces mangas: ils proviennent du Weekly Shônen Jump, magazine de mangas prépubliés à parution hebdomadaire connu pour avoir lancé nombre de légendes du manga.
Cependant le monde du Weekly Shonen Jump ne peut pas être tout rose et si certains de ses bébés arrivent jusqu’au sommet, d’autres se brûlent les ailes et sont abandonnées agonisants dans le caniveau. Car le Jump fonctionne sur un système de popularité impitoyable mais juste. Une série publié peut se faire arrêter prématurément à cause d’un manque de popularité. Dans ce cas, une série impopulaire ne vit rarement plus de 25 chapitres, soit 6 mois de parutions. Et c’est très fréquent.
Ce qui a motivé la sortie de cette analytique aujourd’hui plutôt qu’une autre fois est que lundi, date à laquelle sortira le Jump #52 de 2019, deux séries, « Double Taisei » de Kentaro Fukuda et « Yui Kamio Let’s Loose », de Hiroshi Siibashi (auteur de Nora: Rise of the Yokai Clan) prennent fin prématurément, en 27 chapitres pour « Double Taisei » et en 36 chapitres pour « Yui Kamio Let’s Loose ». Et c’est considéré par pas mal de personnes qui suivent ces classements comme une situation où les éditeurs ont été cléments… Mais on peut donc se demander:
Est-ce que le fonctionnement du Jump est-il encore optimal ?
Car oui, voir une série prometteuse s’interrompre c’est jamais facile, surtout quand on est tombé sous son charme, je vous parle en connaissance de cause… C’est aussi très dur quand on sait à quel point avoir une série dans le Jump est un parcours du combattant.

26 séries débutées depuis début 2018 et 20 arrêtées depuis 2018… ça fait un ratio de 76,9% de séries arrêtés. C’est vrai que dit comme ça, ça n’a pas l’air énorme mais on parle d’un magazine qui lance une grosse dizaine de séries par an… Sur douze séries lancées en 2018, seul 2 (Jujutsu Kaisen et ACT-AGE) sont encore en parution.. Et plus on remonte plus le chiffre baisse. Actuellement le Jump c’est, par ordre de « vieillesse »:
- One Piece (1997)
- Hunter x Hunter (1998) (malgré une parution très irrégulière, 0 chapitres en 2019)
- Haikyū!! (2012)
- My Hero Academia (2014)
- Black Clover (2015)
- Yûna de la pension Yuragi/ The Promised Neverland/ Demon Slayer (2016)
- We Never Learn/Dr.Stone (2017)
- ACT-AGE/ Jujutsu Kaisen (2018)
- Chainsaw-Man/ Samurai 8/ Beast Children/ Tokyo Shinobi Squad (2019)
Les seuls années ayant plus de 2 mangas encore dans le magazine sont 2016 et logiquement 2019, et ce n’est qu’à partir de 2014 que l’on trouve un manga représentatif de chaque année…. Certains trouveront ce passage un peu inutile, mais je trouve au contraire qu’il illustre bien la politique impitoyable du Jump: les lecteurs ne t’aiment pas ? Au revoir.
Mais la popularité ne fait pas tout. Les ventes sont l’autre facteur qui peut déterminer la survie d’un manga dans le magazine. Car si la popularité amène forcément de nouveaux lecteurs, l’inverse peut aussi se faire. On peut prendre l’exemple de Chainsaw-Man, qui faisait un très mauvais départ mais qui a assuré sa survie en vendant 25 000 exemplaires lors de sa première semaine. Mais c’est des cas assez rares.
D’autant plus que lorsque qu’une série est mal classée, elle se situe généralement en fin de sommaire. Et ça peut influencer sur le jugement des lecteurs: ils s’attendent à ce que la série soit objectivement plus mauvaise que celles en début de magazine mais il est aussi possible que le lecteur soit « lassé » du Jump et donc oublie de lire les mangas en fin de sommaire et ainsi ne vote pas pour eux dans le vote de popularité. Au final, les « rookies » du magazine ont très peu droit à l’échec: un échec dans leur scénario est difficilement rattrapable, de même pour le style graphique.
On répète depuis très longtemps à quel point le travail de mangaka qui paraît dans un hebdomadaire est compliqué pour les vétérans comme Oda, qui doit même prendre une pause mensuelle tellement sa santé s’est dégradée en 22 ans… Imaginez alors la situation pour un débutant, qui accomplit son rêve et qui doit lutter pour grignoter quelques lecteurs à des mastodontes comme One Piece ou My Hero Academia. Pour ça généralement son manga respectera à la lettre les codes du shônen.

Mais le Jump possède un problème pour moi plus important que la ridicule marge d’erreur laissée aux nouveaux venus et le fait que leur manga soit sur la sellette durant leur 6 (premiers) mois de vie: la place que ce sont creusés les anciens. Alors oui ça peut sembler hypocrite et on pourrait croire que je n’aime rien dans le système du Jump. Mais ça peut sembler logique de « déclasser » certains mangas, dont on connaît le succès et qu’on sait que les auteurs se donneront toujours à fond. Prenons One Piece, manga invaincu dans les classements de popularités et dans les ventes. On sait que Oda se donnera toujours à fond, et que son manga est et restera au sommet.
Alors pourquoi continuer à la classer avec My Hero Academia, Demon Slayer, Black Clover et surtout les nouveaux venus qui finissent très souvent noyés sous leurs aînés. One Piece pourrait très bien passer en case « Intouchable » où figurent déjà Hunter x Hunter et quelques gag mangas. Non seulement cela libérerait une place qui restera occupé jusqu’à au moins 2024 selon les dires d’Oda, mais aussi ça enlèverai un poids des épaules d’Eiichiro Oda, qui n’aurait plus à subir le rythme intense du Jump…
Un monde teinté de gris
Après non seulement le Jump met ses jeunes auteurs sous pression constante, mais même après avoir réussi à créer un lectorat et à s’assurer une place dans le magazine, un auteur n’est pas à l’abri d’une mauvaise surprise afin de faire de la place. Et aucune série n’est épargnée. On peut penser à Food Wars, Shokugeki no Soma chez nos amis nippons, qui a pris fin en début d’année à cause d’une succession de mauvais classements après tout de même 6 ans de publication.

Et les fins sont généralement rushés au possible. On peut citer le cas de Bleach, manga légendaire de Tite Kubo qui a un temps porté le Jump avec One Piece et Naruto, qui s’est vu rallongé au possible par les éditeurs avant de finir brutalement afin de coller avec le 15ème anniversaire du manga, ce qui nous donne un arc final qui s’étale sur plus de 4 ans et un dénouement en moins de 10 chapitres avec un chapitre en guise d’épilogue. Triste destin pour un manga aussi marquant. Car oui les éditeurs demandent aux mangakas de couper court leur dénouement mais aussi de rallonger au possible les plus gros succès.
On peut penser à Bleach forcément, mais aussi à Dragon Ball, que Toriyama voulait finir dès la saga Freezer. Il a même réessayé avec la saga Cell, sans succès… On peut même penser que Naruto a eu une fin avortée avec la saga Pain, tellement le contraste entre Naruto et Pain/Nagato était fort et que tout semblait en oeuvre pour une fin bien meilleure que celle eue au final.
Mais le système éditorial du Jump apporte aussi d’excellentes choses. Une rivalité entre les mangas du magazine amène forcément les mangakas à se surpasser afin de nous livrer des mangas de très bonnes factures. Si ce système n’existait pas, on peux imaginer que certains mangakas se détendraient parce que justement ils sont publiés et ils le resteront. Ainsi, on pourrait avoir plus facilement des mangas plus surprenants, plutôt que d’avoir 13 nouveautés quasiment identiques.
Certains OVNI arrivent malgré tout survivre dans le magazine. On peut penser à The Promised Neverland, ou encore à Bakuman. C’est non seulement une petite révolution dans l’industrie du shônen made-in-Jump, mais en plus de ça illustre parfaitement le fait que les mangakas ont de plus en plus de marge. Il suffit de voir les états narratifs de The Promised Neverland, Demon Slayer ou encore Haikyû!!.

Donc au final, que penser de tout ça ? Le système éditorial du Jump marche t’il encore fin 2019, après plus de 50 ans de bon et loyaux services ? Oui, des mangas plus que prometteurs passent à la trappe et s’il était difficile de s’en rendre compte fin années 90 début 2000, où seul les gros succès parvenaient chez nous, suite à l’explosion successive de Dragon Ball Z et de Pokémon.
Aujourd’hui avec Internet, tout se remarque bien mieux. Et si ça peux faire mal de voir des mangas prometteurs qui nous avaient tapés dans l’oeil se finir ainsi, il faut se dire que cela nous permettra d’obtenir de bien meilleurs « survivants ». Ainsi, la rivalité constante entre les mangas nous permet d’obtenir des oeuvres encore plus incroyables et agréables à lire.
Je permet d’utiliser cette phrase de Senzaemon Nakiri, personnage de Food Wars afin d’illustrer mes propos :
La plupart d’entre vous n’êtes que de vulgaires cailloux destinés à polir les quelques diamants qui se cachent parmis vous.
J’estime que ça résume bien le Jump : un fonctionnement qui peut sembler archaïque, mais qui a déjà plus que faits ses preuves, des succès qui portent l’industrie du manga à l’étranger, comme on peut le voir en France, deuxième plus gros pays consommateur de mangas au monde. Les plus grosses ventes chez nous sont des mangas du Jump, One Piece, Dragon Ball, présents depuis 20 ans, My Hero Academia, qui aura fait une ascension fulgurante, Naruto, toujours présent ou Demon Slayer, qui apparemment se vendrait merveilleusement bien.
En soit le seul manga qui a vraiment un succès comparable aux plus gros hits du Jump en France est Fairy Tail. Le Jump ne laisse pas ses chances à toutes ses séries, c’est triste, mais celles qui réussissent à s’imposer peuvent se féliciter d’avoir accompli ça. Et c’est bien ce qu’est le Jump. Trois mots « Amitié, Effort, Victoire ». L’amitié rivale entretenu entre des mangakas, l’effort de se hisser tout en haut du magazine et la victoire d’y être parvenu.
En soit, le Jump est un véritable nekketsu.